Frances, tome 1 (Hellgren)

Publié le par k.bd

  entete-frances.png

 

Les thèmes se suivent et ne se ressemblent pas sur K.BD : après un mois d'avril consacré aux "petits vieux", ce sont les femmes qui sont mises à l’honneur dans la thématique de ce mois-ci. Chaque dimanche de mai vous aurez ainsi droit à une héroïne imaginée et mise en images par une ou plusieurs femmes… chose assez rare au sein du neuvième art. L’annonce de l’arrivée massive de toutes ces dames a immédiatement mobilisé les chroniqueurs masculins de K.BD (allez comprendre), qui sont d’ailleurs les plus nombreux à donner leur avis sur ce premier titre. Leur étonnement fut cependant grand en voyant arrivée la première guest star : une petite suédoise d’une dizaine d’années, nommée Frances…

Avant d’être accueillie par K.BD, Frances était élevée par son père. Suite au décès de ce dernier elle doit subitement quitter sa campagne natale pour aller vivre avec sa tante Ada. Dans cet appartement situé au cœur de la lointaine ville, coincée entre un grand-père sénile et plutôt antipathique, une voisine intrigante aux cheveux noirs courts et plaqués et les visites d’une autre tante dont les jumelles s’avèrent être de véritables pestes, la jeune orpheline s’ennuie. En perte de repères, Frances découvre un univers familial peu accueillant et étouffant, souffre de la distance avec sa poignée d'amis qui tardent tant à répondre à ses lettres et tente de fuir ses cauchemars récurrents où son père revient encore et encore. Pourtant, l’arrivée de Frances change les habitudes quotidiennes de la maison et installe petit à petit un nouvel équilibre.

Après Mon frère nocturne, one-shot également édité aux éditions Cambourakis et nominé au Festival d’Angoulême 2009, Frances est le deuxième album de Joanna Hellgren. Le premier volet de cette trilogie dont l’action se situe dans une grande ville de Suède, probablement lors de la première moitié du XXème siècle, invite à suivre les pas d’une petite fille recueillie par sa tante suite au décès de son père. En suivant cette fillette déracinée dans la Suède rigide et bien pensante, le lecteur découvre progressivement le lourd secret de famille qui fait tout le sel de cette tranche de vie.

C’est donc un drame familial qui va réunir l’intrigante petite Frances et sa tante. Si le changement est surtout rude pour la petite, au fil des pages, elles vont chacune trouver leur place au sein de ce nouvel environnement. En abordant avec finesse l’enfance et la difficulté de prendre sa vie en main en assumant ses choix, l’auteure livre une chronique familiale d’une grande justesse. Si tous ont apprécié le comportement de cette héroïne déterminée, qui se forge un caractère tout en découvrant son passé, Mo’ et Legof regrettent la mise en place trop lente du récit. Malgré la personnalité chaleureuse et curieuse de Frances, qui insuffle une bouffée de fraîcheur au sein de cette petite cellule familiale composée de personnages réservés et froids, notre unique chroniqueuse sur ce titre regrette également la passivité et le fatalisme du scénario, qui empêche la lecture de devenir entrainante.

Mais c’est principalement au niveau du visuel de cette œuvre que la plupart des membres de K.BD ont décroché. Le graphisme peut en effet initialement rebuter et sembler approximatif, même si ce style naïf et dépouillé contribue finalement à baigner l’histoire dans une sorte de fragilité enfantine, qui permet de faire passer énormément d’émotions. Ce dessin, tout en crayonné, qui permet de véhiculer les sentiments des personnages avec beaucoup de retenue et d’efficacité, n’a donc pas séduit tout le monde. Mo’ trouve que l’absence d’esthétisme graphique porte préjudice au récit et n’a pris aucun plaisir à contempler les planches, malgré un découpage assez efficace qui donne une bonne dynamique à l'ensemble. Face à l’âpreté du dessin, Legof se demande même si sa nièce de dix ans n’est pas capable de faire mieux. S’il s’est habitué à ce style très crayonné au fil des pages, il avoue tout de même avoir eu le reflexe de vérifier le bout de ses doigts pour voir s’ils ne s’étaient pas gorgés du gris de la mine de crayon. Champi pourrait également reprocher à Joanna Hellgren l'inconstance de son trait et les libertés qu'elle prend avec les proportions et la perspective, mais préfère finalement reconnaître que tout cela concourt à dessiner un univers un peu décalé et dérangeant, en parfaite adéquation avec le propos. La raideur du dessin s’efface ainsi très vite face au lyrisme de cet athlète au bonnet de bain et à la plume virtuose, que je me contenterai d’ailleurs de citer : « Les visages, bien que peu expressifs, ont la force de certains masques de théâtre, et les décors à géométrie variable peuvent évoquer les artifices qui font apparaître ou disparaître à volonté et suivant les besoins les éléments qui les constituent. Les personnages sont assez raides, contrastant parfois fortement avec certains paysages déployés en pleines pages où l'auteure donne libre cours à une certaine virtuosité pour la vibration - malgré l'économie des moyens. ». Et oui, quand Champi n’a pas piscine, sa prose fait également des vagues !

Pas d’unanimité donc sur ce titre. Legof n’a pas su passer outre ce dessin d’une difficulté sans nom et n’a été que très moyennement touché par les événements. Malgré les griefs formulés par Mo’ à l’égard de cet album, le dénouement inattendu de cet opus lui a toutefois donné envie de découvrir la suite. Champi, qui a pourtant des goûts très larges (en matière de BD), n’a pas trouvé d’atomes crochus avec cette auteure venue spécialement de Suède pour le sortir de l’eau. Malgré un visuel dont il reconnaît les qualités, il a trouvé les personnages peu attachants et l’histoire assez convenue, voire sans intérêt. Il n’est donc pas certain que la curiosité le poussera à lire la suite. Je suis par contre grand fan de ce triptyque. En voguant sur un rythme lent et en s’exprimant en toute simplicité sur des sujets sensibles à l’aide d’une narration qui repose grandement sur des regards, des gestes, des incompréhensions et des non-dits, la jeune auteure suédoise livre un récit d’une grande sensibilité. Une lecture très fortement conseillée pour ma part !

Bref, une première rencontre féminine déstabilisante, mais une femme qui saura probablement se faire apprécier au fil des tomes.

 

avatar yvan couleur

Publié dans Synthèses

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article