Atar Gull (Nury & Brüno)

Publié le par k.bd

entete atar gull

 

 

Le mois de la vengeance se poursuit sur k.bd, avec un album polémique cette fois. Personnellement, je n'imaginais pas une seconde une thématique pareille sans une petite séance de discorde dans l'équipe. Il nous fallait absolument un titre sur lequel nous quereller, histoire de faire monter la pression. Cet album là, vous l'avez probablement déjà lu, car il a été très plébiscité après sa sortie remarquée en 2011. En lice dans de multiples sélections officielles (Angoulême, Prix de la critique ACBD, etc...), il n'aura finalement obtenu que des récompenses mineures (ce qui n'est déjà pas si mal me direz-vous) dans le monde de la bande dessinée (Prix de l'affiche à Quai des bulles, Meilleur Album dBD). Et si vous ne l'avez pas encore lu, devez-vous vous précipiter sur ce phénomène ? Nous avons réunis ce qui se fait de mieux en engouements suprêmes et critiques acerbes pour éclairer votre opinion sur le sujet.

Atar Gull est un esclave. Mais pas n'importe lequel : il est le fils du Roi des Petits Namaquas. Depuis toujours les tribus des Grands et Petits Namaquas se font la guerre. Et en ces temps de colonialisme, les marchands d'esclaves ont bien flairé l'aubaine qui se présentait à eux, marchandant avec les vainqueurs. Ils échangeaient ainsi quelques barils de poudres, des armes et des babioles brillantes sans grand intérêt contre les prisonniers vaincus, qu'ils partaient ensuite revendre sur l'Amérique lointaine. Oh bien sûr le voyage n'était pas sans accrocs, bien entendu il y avait des pertes, parfois très importantes. Mais le "jeu" valait son pesant d'or... et en ces temps pas si reculés que ça, les gens n'étaient pas bien scrupuleux avouons-le franchement.
Le gentilhomme "innocent" Claude Borromée Martial Benoît et le sanguinaire et désabusé Brulart représentent un bel échantillon d'une flotte marchande sans vergogne. Tom Will, quant à lui, est le parfait planteur "modèle", généreux avec ses esclaves qui n'en demeurent pas moins asservis.
Vous vous imaginez certainement que ce pauvre Atar Gull est à plaindre, étant donné sa condition et toutes les épreuves qu'il a traversées. Mais vous seriez bien loin de la vérité. Oh oui, bien loin de la vérité. Car cet être là est aussi abject que les autres : meurtri jusque dans ses tripes, rancunier et décidé, il va comploter dans l'ombre pour assouvir une vengeance froide, du genre de celles dont on ne se relève pas.
Si vous cherchiez des hommes à sauver au milieu de ce paysage nauséabond, arrêtez-vous là tout de suite : il n'y en a aucun !

Atar Gull est le fruit de la collaboration de deux hommes.
C'est tout d'abord Fabien Nury (Il était une fois en France, L'or et le sang, La mort de Staline, Je suis légion...) qui a découvert le roman d'Eugène Sue, car Atar Gull est bien une adaptation littéraire. En le lisant, il a trouvé en l'auteur des Mystères de Paris un précurseur à son œuvre et a voulu l'adapter en bande dessinée. Mais il a mis longtemps à digérer le contenu et à trouver le dessinateur capable d'illustrer la BD. Son choix s'est finalement porté sur Brüno (Les aventure de Michel Swing, Biotope, Inner city Blues, Lorna...), un auteur au style graphique bien particulier et qui lui permettait à la fois de présenter beaucoup de cases sur une même planche sans altérer la lisibilité de l'album et de lisser une sauvagerie qu'un style réaliste aurait exacerbée. Brüno aura rapidement fait d'accepter la proposition, partageant à 200% la vision de Fabien Nury sur le sujet.
C'est ensemble qu'ils décident de condenser l'album sur un seul et unique tome d'un peu plus de 80 pages. Et le dessinateur convainc même le scénariste de modifier un peu le livre original, dans le sens où l'épilogue se situe à Nantes, haut lieu de la traite négrière en France, et non à Paris, capitale centrale et omniprésente dans la majorité des cas.
Pour compléter l'équipe, c'est Laurence Croix qui est en charge d'apporter de la couleur au dessin "totemisé" mais néanmoins très expressif de Brüno. Une colorisation aux tons tranchés : des aplats vifs, jaunes, rouges, orangés... Efficace et adaptée pour certains, elle a aussi ses détracteurs, comme David, rebuté par cette technique qu'il juge saugrenue. Il fait parti des quelques membres de k.bd qui pensent que l'œuvre aurait plus de force en noir et blanc. Une version noir et blanc qui existe par ailleurs, mais qu'aucun d'entre nous n'a eu dans les mains.

Vous l'aurez peut-être ressenti dans mes propos, je suis tout à fait enchanté par la lecture de cette saga. Elle s'est traduite chez moi par une montée en puissance de la vengeance, de l'adrénaline, jusqu'à atteindre un sommet qui s'arrête brutalement lorsqu'elle est tout en haut. Une fin que je ne vous raconterais pas mais que tout le monde n'a pas vécu de la même façon sur k.bd. Car si je l'ai trouvée magistrale au point de me couper le souffle, d'autres ont ressenti un grand vide comme si une fois la sentence tombée il n'y avait plus rien. D'autres encore auraient préféré voir la chute s'étaler plus longuement, critiquant de ce fait un trop faible nombre de pages, syndrome récurrent d'une adaptation ratée. Les auteurs ont souhaité que tout aille très vite alors que certains auraient préféré prendre le temps de ressentir cette montée de pulsion vengeresse.
Mais nous nous rejoignons tous plus ou moins sur un point : ne devrait-on pas nous lancer tous dans la lecture du roman d'Eugène Sue pour nous faire une idée ? Un roman qui, si on le remet dans le contexte de son époque (1831), avait défrayé la chronique et fait couler beaucoup d'encre. Il y a des choses qui ne changent pas, même si l'encre s'est ici muée en texte virtuel sur un écran d'ordinateur.

Pas moralisateur pour un sou, Atar Gull ne se revendique pas comme un énième album sur l'esclavagisme. Les auteurs ont voulu mettre en avant la noirceur de l'homme dans tous ses états. Pour eux, le planteur est la pire crapule qui soit. Ici, les victimes et les bourreaux se confondent, alternent les rôles. Si comme moi vous aimez les salauds, vous serez servis, je vous le garantis.


Nous l'avons écrit :
Mo' : « Cet album propose une réflexion sur l’esclavagisme que le personnage d’Atar Gull sert à merveille. »
Yvan : « Visuellement, Brüno met son style typique au service de cette destinée tragique et propose des personnages hauts en couleurs, tels que Atar Gull ou le capitaine Brulart, l’impitoyable pirate négrier. »
Lunch : « [...] l'album retrace une époque que tout le monde voudrait oublier, par méprise ou par honte. J'habite Bordeaux, qui a été un port négrier par le passé, pourtant ce n'est ici qu'un souvenir que personne n'ose affronter alors que le devoir de mémoire devrait nous inciter à présenter et dénoncer ce trafic [...]. »
Badelel : « Tout va bien trop vite, on ne prend pas le temps d'approfondir le caractère des personnages et le sens de la vengeance d'Atar Gull semble être occulté par un esprit fou. Même ceux sur lesquels on s'attarde, comme Brulard par exemple, n'ont que peu de profondeur. »
Choco : « Atar Gull est vraiment un album puissant scénaristiquement mais aussi graphiquement parlant. »
David F. : « Ah !! Brüno ! Quel dessinateur de talent. Depuis ses débuts dans les éditions "La chose" son dessin a toujours été fascinant. Inimitable, original, Brüno a un style qui n’appartient qu’à lui. Ses personnages ont des "gueules" indiscutables. »
OliV' : « C'est une histoire proche de l'horreur, d'une vie trop lointaine et inhumaine pour la comprendre et la défendre. Qui est le bon, qui est le méchant dans cette histoire ?? »
David : « [...] alors qu’on cherche à me faire ressentir avec force la violence, le dégoût ou la compassion, on me livre un personnage déshumanisé comme Atar Gull. Comment puis-je adhérer au propos ? C’est pour moi un véritable frein qui me fait préférer – et de très loin – le personnage du pirate bien plus poétique et romantique que le héros principal. »
Champi : « Au final, un one shot intéressant mais un peu convenu à mon goût, qui aurait peut-être mérité quelques pages de plus, mais qui, reconnaissons-le, sait traiter une période complexe sans sombrer dans la facilité de la simplification. »

 

avatar lunch couleur

Publié dans Synthèses

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Moi aussi, mais ce n'est pas l'avis de l'ensemble de notre équipe. C'était très nourri comme discussion autour de cette BD.
Répondre
B
J'ai beaucoup aimé cette BD.
Répondre